Diamart Group a interviewé en exclusivité Philippe Gueydon, Directeur Général de King Jouet. Témoignage.
Diamart Group : Où en est l’activité de King Jouet, en ce mardi 24 mars ?
Philippe Gueydon : Nos magasins sont fermés depuis le dimanche 15 mars 2020. Nous conservons une activité Internet, mais en temps normal, celle-ci ne représente que 10 % environ de notre activité totale contre 90 % pour les magasins. Concrètement, cela veut dire que 90 % de la machine est à l’arrêt. Jusqu’à présent, notre stratégie consistait à pousser l’activité Web via le réseau de magasins (click & collect) : le retrait en magasin représentait 50 % des commandes e-commerce, l’autre moitié étant livrée à domicile ou en points retraits. A ce jour, ce n’est plus possible. L’e-commerce est donc passé à 100 % en livraison à domicile. Notre entrepôt fonctionne, et nous recevons toujours des containers venus d’Asie.
Diamart Group : Pouvez-vous illustrer la dynamique de l’e-commerce en chiffres?
P.G : Notre site Web servant essentiellement à préparer les visites en magasin, on enregistre un trafic en baisse de l’ordre de 50 %. En revanche, le taux de transformation a beaucoup augmenté : en cette période de confinement, les clients venant sur le site achètent ! Par ailleurs, le panier moyen est entre 25 % à 30 % supérieur par rapport à la même période l’année dernière. Avec le confinement à domicile, les ventes de jouets d’extérieur accélèrent (toboggans, cabanes de jardin…). Mais nous avons une problématique de livraison sur ces produits et avons dû suspendre l’offre, car notre prestataire logistique (DB Schenker) ne peut plus assurer ce service.
Diamart Group : Amazon a déclaré se concentrer sur les produits essentiels. Avez-vous envisagé de stopper l’e-commerce ?
P.G : Le jouet n’est pas considéré comme étant de première nécessité, mais j’imagine qu’il faut quand même occuper les enfants, que ce soit dans les appartements ou les jardins. Nous avons beaucoup réfléchi au fait de maintenir, ou non, notre activité e-commerce. En effet, ce n’est pas l’activité la plus rentable, mais nous avons décidé de la maintenir dans une optique de service-clients. Honnêtement, nous ne poussons pas l’e-commerce par des investissements marketing, nous ne faisons aucune promotion sur le Web. Nous avons clairement réduit la voilure (achats de mots clés Google notamment).
Pourquoi ne pas avoir proposé de « ship from store » ?
P.G : Car nous n’étions pas équipés pour cela. Il était difficile pour nos équipes magasins de respecter les gestes barrières, avec l’organisation actuelle de nos points de vente.
Diamart Group : Quels ajustements opérationnels implique la crise actuelle ?
P.G. : En entrepôt, la préparation de commande reste assez similaire, mais les enjeux se situent sur les effectifs et la capacité à livrer. En effet, environ un tiers de nos salariés en entrepôt ont exercé leur droit de retrait pour des raisons de santé ou de sécurité. Et le report sur l’intérim est compliqué car les agences rencontrent également des difficultés d’organisation. Résultat, nous avons décidé de ne pas faire appel à l’intérim, même si cela implique d’être vraiment courts en termes d’effectifs !
Diamart Group : Comment se déroulent les livraisons ?
P.G. : Nous travaillons avec Colissimo pour les livraisons à domicile, et à l’instant T, cela continue à fonctionner. Mais la situation est compliquée, certains transporteurs ne pouvant plus assurer la livraison à domicile, notamment pour les produits volumineux, qui représentent une activité importante au printemps. D’autres font face à des problèmes d’effectifs et privilégient les livraisons de produits de première nécessité comme l’alimentaire. Résultat, le peu d’activité poursuivie se fait avec difficulté.
Diamart Group : Quel est l’impact sur la trésorerie ?
P.G : Avec cette fermeture de magasins, qui devrait se situer entre 6 et 8 semaines, nous allons perdre un chiffre d’affaire significatif. Il y aura donc un manque de trésorerie. C’est pour cela que nous demandons des efforts à nos bailleurs…ainsi qu’à nos fournisseurs pour échelonner les paiements.
Diamart Group : Avez-vous affecté le personnel en magasin à de nouvelles missions ?
P.G : Non, car c’est compliqué de transférer des gens d’une mission à l’autre. A l’heure actuelle, les équipiers des magasins sont en chômage partiel. Au siège, nous avons gardé environ la moitié des effectifs en télétravail afin d’assurer les tâches indispensables de Ressources Humaines et de Logistique. La partie Achats (Category Management) est également essentielle : il y a des commandes à passer auprès des fournisseurs en avril / mai, pour ne pas prendre de retard sur la saison de Noël, qui représente 50 % de l’activité dans le jouet.
Diamart Group : Comment anticipez-vous la reprise ?
P.G. : Nous travaillons actuellement sur un scénario de reprise au 4 mai. Cela va venir vite, mais ce sera une période compliquée, en termes de pilotage de la trésorerie d’abord. Dans le « retail », les mois de mai-juin (avant les soldes) pourraient bien être sur-promotionnés chez beaucoup d’enseignes voulant se déstocker, mais pour King Jouet, il faudra trouver un schéma qui ne soit pas uniquement promotionnel. L’une des grosses questions que l’on se pose actuellement est la suivante : comment allons-nous inciter les gens à revenir en magasin, leur donner plaisir à consommer ? Mais je suis optimiste, car on voit bien que les Français ont du mal à arrêter de sortir et de consommer. J’anticipe, pour la réouverture, un effet de rattrapage sur les produits non essentiels. Je ne le crois pas que la crise change fondamentalement les modes de consommation.
Diamart Group : Un mot pour conclure ?
P.G. : Ce que nous vivons actuellement est inédit, mais il ne faut pas que cela dure trop longtemps. Nous prenons des décisions au jour le jour, pas toujours avec clairvoyance… mais nous assumons. J’ai le sentiment que tous les retailers freinent sans s’arrêter. Mais d’un point de vue stratégique, il faut aussi définir les sujets devant être poursuivis, décalés ou arrêtés. On n’arrête pas de se projeter pour autant !