Touchée de plein fouet par la crise sanitaire, l’enseigne de mode Jennyfer a fermé ses 320 magasins en France. Seule l’activité e-commerce est maintenue. Diamart Group a interrogé en exclusivité Sébastien Bismuth, Président Directeur Général.
Diamart Group : Comment se porte l’activité de Jennyfer actuellement ?
Sébastien Bismuth : Nos magasins étant fermés, seule l’activité e-commerce se poursuit. Mais celle-ci ne représente que 3 % du CA. Et malgré la fermeture des magasins, l’e-commerce n’est qu’en très légère augmentation par rapport à l’année dernière. Heureusement, nous bénéficions d’un soutien de l’Etat à travers toutes les mesures mises en place. Nous allons devoir nous endetter fortement pour passer cette crise, ce qui va fortement diminuer la valeur de l’entreprise. A ce jour, il reste un sujet majeur en suspens : les loyers. Dans notre compte d’exploitation, les loyers pèsent plus que la masse salariale.
DMG : Comment s’engagent les discussions avec les bailleurs à ce sujet ?
S.B. : Pour l’instant, le dialogue se déroule entre les fédérations et les bailleurs. Je pense qu’en tant que retailer, nous prenons largement notre quote-part et les actionnaires aussi. Il faut que les bailleurs prennent la leur. Et c’est normal car lorsqu’on paye un loyer, on achète de la commercialité et du trafic. Il est dans l’intérêt de tous de trouver un accord équilibré et juste. Les bailleurs n’ont pas intérêt à se retrouver avec quantité de m2 inoccupés car les enseignes auront baissé le rideau. Ils ont intérêt à avoir des enseignes fortes, qui génèrent du trafic dans leurs centres. Aujourd’hui Jennyfer est n°1 en France sur le marché de la mode pour les 10-15 ans (avec 12 % de part de marché) et n°2 chez les 15-18 ans. Nous employons directement et indirectement 2.000 personnes.
DMG : Envisagez-vous des fermetures massives de magasins pour Jennyfer ?
S.B. : Avant la crise, nous avions déjà entamé une rationalisation du parc. Notre objectif était de maintenir nos m2 avec des surfaces plus grandes. Il y a un an, nous avions 350 magasins. Nous avons fermé environ 40 petites unités et en avons ré-ouvert 10, mieux placées et plus grandes, pour une surface globalement équivalente. C’est le quotidien d’une enseigne de rééquilibrer son parc selon les flux et la rentabilité des magasins et cet arbitrage va se poursuivre, bien sûr. Mais si nous devons supporter les loyers de cette période de « lock-down », les fermetures seront beaucoup plus massives.
DMG : Allez-vous maintenir vos investissements de transformation omnicanale ?
S.B. : Bien sûr ! Pour 2020, l’investissement majeur en termes de transformation omnicanale pour Jennyfer reste la RFID, que nous conduisons avec Retail Reload. Nous le maintenons, car ce projet est la cheville ouvrière de notre transformation organisationnelle. En effet, à ce jour, nous ne pouvons pas vendre le stock magasin via l’e-commerce ni proposer du « ship from store », car nos stocks ne sont pas exacts. C’est un projet structurel visant à corriger les erreurs de démarques inconnues, de livraison, etc.
DMG : Jennyfer adhère au Fashion Pact. Pensez-vous que cette crise va bouleverser les préoccupations durables des consommateurs ?
S.B. : Les consommateurs auront certainement une exigence encore plus forte de transparence et de responsabilité écologique et sociale. Du côté des retailers, je pense qu’elle va accélérer les mouvements déjà engagés : raccourcir le sourcing, dépendre de zones de production plus proches, moins stocker à l’avance et être plus responsables en termes de RSE et de production. C’est un mal pour un bien car, au final, on est tous concernés par la sauvegarde de notre planète.
DMG : Chez Jennyfer, d’où viennent vos produits ?
S.B. : Environ 70 % de notre production vient d’Asie et 30 % d’Afrique du Nord. Comme beaucoup de retailers « mass market », on se base sur du sourcing asiatique qui dispose d’un savoir-faire et d’outils que nous n’avons plus en Europe. Tout le monde rêverait de produire en France, mais alors, les prix de vente augmenteraient de façon irrationnelle… En parallèle, nous travaillons sur un projet de réindustrialisation en France. C’est aussi dans notre intérêt de produire au plus près de nos points de vente.
DMG : Comment imaginez-vous la reprise ?
S.B. : Je pense que la réouverture sera intense en termes de promotions car il faudra déstocker. Nous allons sortir de cette crise avec une entreprise qui ne sera plus la même. Il faudra rembourser la dette et travailler de longues années pour retrouver l’équilibre.
DMG : Un mot pour conclure ?
S.B. : Plus que jamais, je crois au retail physique. Je suis convaincu que, demain, les gens auront toujours envie d’aller faire du shopping dans les magasins. Aujourd’hui beaucoup de nos clientes de moins de 18 ans n’ont pas de moyen de paiement leur permettant d’acheter de façon autonome sur Internet. Elles changent de taille tous les ans et surtout, elles aiment essayer les produits, se balader avec leurs amis et faire du shopping… Oui, l’e-commerce va croître chez Jennyfer, mais celui-ci s’appuiera sur les magasins physiques qui permettent de faciliter la livraison, le « click and collect » et les retours. A terme, Jennyfer devrait rester dans un équilibre de 90 % de CA physique et 10 % d’e-commerce.