Avec le retour d’une sélection darwinienne féroce et la multiplication des défaillances dans le retail, une question va se poser de plus en plus souvent aux investisseurs : parmi les retailers qui vont au tapis, qui mérite d’être sauvé ? Pour qui un turn around est-il plausible ?
Jardiland s’est révélé « facile » à sauver. Il a suffi de remettre un peu d’argent, un patron énergique (ô combien) et du bon sens… Le fonds repreneur a toutes les chances de faire une belle opération.
Vivarte est un défi plus incertain, Richard Simonin le savait en acceptant le défi : l’entreprise était si abîmée qu’il faudra beaucoup de sang et de larmes avant tout retour à meilleure fortune.
Pour d’autres, il valait mieux arrêter les frais : Saturn, Bata, Chapitre, Dia, etc.
Comment reconnaître ceux à qui donner une seconde chance ?
- Les basiques restent incontournables : marché au moins stable (qui pouvait sauver Virgin ?) ; parc de qualité décente avec des loyers raisonnables ; situation financière pas trop plombée (Fly aurait pu être sauvé… 12 mois plus tôt, si le mirage entretenu d’une alliance avec Conforama n’avait pas retardé les décisions urgentes) ; qualité du management ; etc.
- L’utilité est une condition déterminante : certains retailers tombent parce qu’ils ne servent à rien, parce qu’ils n’apportent rien au marché. Voici encore 10 ans, on pouvait être inutile et prospérer à condition de faire honnêtement son métier ; ce n’est plus possible sur des marchés en érosion et hyper-compétitifs. Pour réussir un turn around, il ne suffit pas de couper et d’assainir : il faut retrouver une raison d’être !
- Mais de plus en plus, ce qui décidera du sort des vaincus, c’est la « charge » de leur marque, c’est son intensité marketing, c’est cette vibration qui fait que « fallait-il sauver Tati » sonne très différemment de « fallait-il sauver Fabio Lucci ». À quoi tient la charge ? Pas aux investissements marketing capitalisés : Fly dépensait beaucoup en communication. Rien à voir avec la notoriété : tout le monde connaissait Bata, personne n’a pleuré sa mort. La charge, c’est la capacité à mettre en résonance les clients, la promesse de marque et les hommes chargés de lui donner vie. C’est 50% de preuves concrètes (pertinence de l’offre, des prix, du concept marchand…) et 50% d’alchimie subtile. La charge existe dans tous les secteurs, et pas seulement dans la mode : elle est ainsi l’une des raisons de la survie de la Fnac.
Les investisseurs n’aiment pas cette « part sensible » dans l’évaluation d’une entreprise : comment traduire la charge dans les business plans, en quoi impacte-t-elle l’Ebitda ? Pourtant, investir dans le retail sans accepter qu’il recèle une part importante et croissante d’alchimie, c’est lancer les dés. Les investisseurs qui ne le comprennent pas (et parfois ont choisi de ne pas le comprendre, par atrophie de leur quotient émotionnel) préparent les défaillances de demain.
Dernier conseil pour un turn around réussi : ne jouez pas petit bras. Les marchés sont trop durs pour relancer dans la mêlée un guerrier rafistolé. Amaigri, endurci, épuré : oui… mais pas bricolé ! Le retail de demain ne pardonnera pas la mollesse et l’approximation. L’actualité des prochains mois risque hélas de fournir aux investisseurs plusieurs cas pratiques pour tester ces principes. Espérons qu’ils en feront bon usage, ne serait-ce qu’au nom des hommes et des femmes que ces naufrages emportent…