La presse a beaucoup commenté la valse des alliances à l’achat : Intermarché quitte Casino qui rejoint Auchan ce qui pousse Système U dans les bras de Carrefour qui lui-même fréquente d’autres partenaires… Pourtant, ces alliances sont tactiques. Elles génèrent quelques millions d’euros de marge arrière et d’alignements de conditions, avant de se dissoudre une fois les gains empochés. C’est pertinent et rentable ; ce n’est pas structurant.
Le véritable phénomène qui redessine le retail, c’est le grand retour des fusions-acquisitions : rachat de Darty par la Fnac, de Bricorama par Bricomarché, de Toys’R’US France par Picwic (et un fonds), de Decitre par Furet du Nord (peut-être), de Tati par Gifi, de Sarenza par Monoprix, de La Redoute par Galeries Lafayette, de Jardiland par Gamm Vert, etc.
Les motivations de ces opérations sont limpides : rattrapage de compétence digitale pour certaines ; consolidation sectorielle pour les autres. Dans les deux cas, les questions sont nombreuses.
Les opérations entre brique et digital (type Monoprix-Sarenza) sont excitantes sur le papier, mais opérationnellement difficiles. Les business models, les cultures, les outils sont si différents que les synergies se révèlent souvent aléatoires. Comment prendre le meilleur des deux mondes ? Faut-il mélanger les modèles au risque de les affaiblir ? Comment gérer l’épineux problème des prix online vs offline ?
Les opérations de consolidation sont souvent critiquées car elles mobilisent capex et énergies sur le recyclage de l’ancien monde plutôt que sur l’adaptation au nouveau monde. Il y a du vrai : intégrer un concurrent, c’est 3 ans de galère pour les équipes, des coûts d’alignement côté back-office, et des débats côté front office. Faut-il passer les Bricorama sous enseigne Bricomarché, même à Paris où la notoriété est bien meilleure ? Comment jouer les synergies entre Fnac et Darty, deux marques aux ADN radicalement différents ? Comment maximiser les gains (achats, supply, technologie) sans faire converger les modèles commerciaux… mais comment justifier deux marques si les modèles commerciaux convergent ?
Il n’y a pas de réponse unique – mais voici 3 réflexions fondées sur notre expérience vécue de ces situations.
Vers la marque-plateforme ?
Avant, on pensait que la marque devait désigner une promesse claire, donc un modèle commercial précis, donc un format et un réseau homogènes. Cette conception rigide est remise en cause par la plateformisation de l’économie : la marque devient la clé de voute d’un écosystème complexe, recouvrant des prestations, formats et métiers variés au service d’une mission de marque commune. Sarenza est difficile à intégrer si Monoprix est une enseigne de magasins. Si Monoprix est une marque aspirationnelle portant une vision de la vie en ville, cela devient (un peu) plus facile.
Moteur de sa propre réinvention
Erreur mille fois répétée : le vainqueur écrase le vaincu. Quand les brillants trentenaires de la Fnac (ancien consultants, énarques et banquiers d’affaires) ont pris le contrôle de Darty, ils ont humilié les grognards de Darty, involontairement le plus souvent. Conséquence : les ventes de Darty ont piqué du nez, alors que la croissance était à deux chiffres avant le rachat. Certes, il est naturel que le vainqueur impose son modèle – les vaincus devraient être les moteurs de la transformation de leur entreprise vers le nouveau modèle, au lieu de la subir. Certains y sont prêts, s’ils en perçoivent le sens (pour l’entreprise) et l’intérêt (pour les clients et pour eux-mêmes).
Quand le sage parle de croissance, l’idiot regarde le deal
Ne JAMAIS signer un deal sans savoir comment intégrer les modèles. Les banquiers d’affaires et les consultants sont payés pour produire des BP et closer des deals « qui ont du sens » (expression consacrée destinée à masquer une absence de vision opérationnelle), pas pour garantir la performance ultérieure. J’ai souvent entendu mes clients m’avouer, une fois le closing finalisé, ne pas savoir quoi faire de leur acquisition… et découvrir que les synergies annoncées n’existent que sur powerpoint. Certes, il faut aller vite, certes les banquiers et les avocats mobilisent le temps de cerveau disponible avant deal. Il n’est pourtant pas impossible d’instruire ces scénarios d’assemblage avec une petite équipe d’experts opérationnels, sans remettre en cause les calendriers de closing : je le sais, je l’ai fait !
Le retail est entré dans une phase de turbulence qui recèle de magnifiques opportunités pour les plus déterminés. Pour conduire et financer les transformations indispensables, les synergies permises par les rachats sont un atout précieux. Et face à la terrifiante capacité d’investissement des grands pure players, croissance externe et alliances sont indispensables.
Reste à les transformer en véritables leviers de performance opérationnelle : attachez vos ceintures !