Cela parait peu probable… Mais alors pourquoi Amazon rachète-t-il WholeFoods ? On connait les réponses évidentes : Amazon regarde le retail physique depuis des années, l’alimentaire est sa prochaine grande offensive, le choc frontal avec Walmart est engagé (cf les rachats de pure players par Walmart), WholeFoods apporte des compétences et un réseau, etc.
Sauf que… je dis ça, je dis rien. Si ces explications étaient les bonnes, Amazon aurait racheté n’importe quel réseau, sauf WholeFoods ! Si Amazon voulait un réseau de magasins / points de retrait, il fallait racheter une chaîne de convenience stores ou de drugstores, au maillage bien plus dense. Si le projet est d’exploiter son expertise technologique pour optimiser process et supply, il fallait le faire dans un petit format standardisé et managé de manière centralisée. Or WholeFoods est tout le contraire : réseau peu dense de grands formats, management décentralisé, sourcing local, faible culture technologique, primauté à la sensorialité, etc.
Jusqu’ici, Amazon a plutôt cherché à démontrer que le magasin ne sert à rien, que le métier de commerçant est une commodity, que le shopping idéal est zero click. En choisissant WholeFoods, il achète au contraire le retailer qui sublime le mieux la valeur ajoutée du magasin.
Celui qui ne cherche pas à standardiser, qui fait passer le commerce avant les process, le local avant le global, les hommes avant le back-office, la sensorialité avant la praticité. Celui avec qui, autrement dit, les synergies opérationnelles et culturelles sont les moins évidentes. Le défi culturel et managérial est immense : Amazon entre dans l’ère de la complexité et, sans doute, des compromis.
Qu’en conclure ? qu’il est fou ? qu’il ne sait plus quoi faire de son argent ? qu’il n’a rien compris au retail physique ? Vu son track record, il prépare plutôt le coup d’après.
Ce que WholeFoods a que les autres n’ont pas, c’est une expertise et une légitimité inégalées sur la naturalité, la sensorialité, le sourcing local, le bien manger. On sait à quel point ces tendances sont incontournables dans l’alimentaire depuis 10 ans. Bezos aurait pu conclure « ce n’est pas pour nous, c’est notre opposé ». Il a au contraire conclu « c’est ce que les clients veulent, donc c’est ça que je dois faire ».
Mais surtout, au-delà du mouvement stratégique qui ébranle le monde alimentaire, Jeff Bezos affirme ceci : le retail de demain sera l’enfant métis d’une machine froide et d’un commerçant sensoriel. La technologie, non pour créer un commerce désincarné et automatisé, mais au service de la personnalisation et de l’hyper-local. Le mariage entre le meilleur logisticien du monde et le meilleur commerçant du monde, entre un front office hyper-valorisé et un back-office hyper-optimisé.
C’est une inflexion majeure dans sa vision du monde et dans ses allocations d’actifs. Et, parce que c’est Amazon, c’est un changement majeur dans l’histoire du retail.